29.7.11

Est-ce la fin du début ou le début de la fin ?

Je ne sais pas si vous avez remarqué, souvent les blogs finissent en queue de poisson, tel les carnets de voyage où le routard s'est perdu dans l'espace-temps et ne rentre jamais à la maison. Abandonnés, inachevés, dans l'attente lancinante d'un nouveau billet, d'un post final.
Des gens passent, racontent un bout de leur histoire, et repartent sans mot dire. Parfois, cela m'agace. Et je repense au mien : abandonné, inachevé…
Mais dès que je veux m'y mettre, un spectre m'étreint, l'angoisse de la page blanche.

Peu après les dernières nouvelles écrite ici, je me suis fait une petite rétrospective, et à ce moment là j'avais une certaine idée de ce point final.
Un message idéal, où après avoir (finalement !) eu mes papiers d'identité, je mesurais le chemin parcouru sous divers angles, concluait en beauté en casant une chanson de Sardou…

J'ai reçu un recommandé, le matin du 12 janvier. Le facteur m'a tiré du lit, c'est lentement que je prends conscience des papiers que j'ai en main : le compte-rendu du procès, la rectification d'état-civil… Un bonheur de partager cela au réveil avec Julia, qui commençait à prendre ses marques dans mes draps, après sa place dans mon coeur.
Elle partie pour notre lieu de rencontre, de travail, j'ai dansé ma joie tout seul puis l'ai partagé par texto: "Oyez oyez ! Grande nouvelle : je m'appelle aujourd'hui officiellement Éric Tai Juan C. … J'ai reçu le jugement du tribunal ce matin ! Merci à vous tous qui m'avez compris, aidé, aimé pendant ces 5 années. Ceux qui m'ont connus avant, ceux qui me parlaient au masculin quand ce n'était pas évident, ceux que j'ai rencontré en cours de route et qui m'ont été tout aussi essentiel. D'avoir fait un bout de chemin vers et avec moi, merci encore !"
Et tout plein d'amis furent enthousiasmé à leur tour. Parce qu'il a tout dit, de ses émotions et des miennes, je retiendrais la réponse de Denis: "RIP Caroline !"

Peut-être aurais-je dû écrire à ce moment là.

Entre le jugement et le passeport dans ma main, 4 mois et 18 jours (je crois, environ).
Denis avait tort, Caroline a fait un dernier tour de piste sur des documents "officiels". Début mai, une garde à vue de 24h avec un ami, pour un bout de shit. Je ne peux m'empêcher de comparer avec une autre expérience [lien]. On me demande: "Caroline, ça s'écrit comme au féminin ?" et Mr Caroline C. s'inscrit sur tout les rapports. Le mec qui prends les photos face, profil, 3/4, les empreintes, m'a semblé plus futé: il en a sorti deux fiches, des deux sexes reconnus.
Cette arrestation et ses conséquences, non encore totalement évaluées,
(Il y a quelques points de suspensions parsemé dans ce blog qui sont lourds de sens… Et peut-être que je tape là les derniers, ces points qui m'excusent de ne pas finir une phrase, quand je ne peux pas, je ne sais pas ou je ne veux pas me le dire et donc l'écrire, et si en plus je me souviens que des gens lisent !)

Je n'avais rien à dire…

Peut-être cela explique-t-il le gentil contentement suivant la matérialisation de mon identité, plutôt que l'euphorie et la fiesta (beuverie) annoncée.
Ce passeport signifiait en tout cas une chose : je peux enfin prendre mes billets d'avion !
Sur ce blog j'ai vu défiler les États-Unis, le Vietnam, le Sénégal, cinq voyages qui ont marqué des tournants dans ma vie personnelle, professionnelle… Cela a pu relever du hasard mais d'une certaine façon je crois construire ma vie sur ce schéma. Tout ça pour dire qu'aujourd'hui, à moins de deux semaines d'un vol Francfort-Lima, le sac bientôt prêt pour un périple de trois mois au Pérou et au Mexique, je me sens à l'aube d'un nouvel horizon.
À ce moment là, ces billets d'avion, ça me permettait de répondre à la question que je me suis entendu poser à Aurélie: "et maintenant, qu'est-ce que je fais, c'est quoi mon but ?"

Je me suis senti un peu vide.

J'allais avoir 18 ans lorsque j'ai réalisé pourquoi ça n'allait pas et comment je pouvais changer ça; cela n'a pas mis longtemps pour que je me décide et commence à en parler. À assumer. À expliquer. À me transformer. À me révéler, semblable et différent à la fois. À prendre tout, les remarques, les regards, les clichés, les bienveillances, les blagues, les reproches, les inquiétudes, des familiers comme des inconnus, à prendre tout sur moi, avec moi, mais jamais contre moi. À me camoufler. À m'inventer. Peu avant mes 19 ans j'étais hormoné, à 21 ans mon torse était plat, quelques grammes d'organes en moins un an et demi plus tard...
Durant presque six ans j'ai eu ce fil conducteur dans ma vie. Je pense avoir fait cette transition à mon rythme, ce n'est donc pas un modèle de rapidité et d'efficacité ! Dans ces années où se dessine l'adulte en devenir, où chaque pas nous construit, elle définissait ses objectifs à moyen ou long terme et tout les autres projets devait négocier ou se soumettre à ses contraintes.

Mais comme en poésie, la contrainte n'est-elle pas libération ?

"Ce blog répond à une nécessité: relater cette période de ma vie me paraissait être important.
Je suis à un sérieux tournant de mon existence! Je dois décider de mes études, mon orientation professionnelle, bref le métier que je veux faire, ou encore ce qui va conditionner le restant de ma vie. Je dois apprendre à m'assumer et me responsabiliser pour quitter (fuir?) le giron familial.
Et surtout, je veux passer du féminin au masculin. Cette transition occupant la majeure partie de mes reflexions (et non pas de mes pensées, qui vaguent vers de multiples directions), j'ai du mal à assurer pour le reste! Mais rien n'est plus important, plus urgent, plus essentiel pour ma vie qu'elle... alors, tant pis si le reste est un peu mis de côté pour le moment."
Novembre 2005, le premier message de ce blog. L'envie aujourd'hui de cocher: ça, c'est fait.
Une fois n'est pas coutume, pour faire rapide: sans ma transition, je n'aurais jamais été cuisinier. Sans la cuisine, je n'aurais jamais acquis cette même relative indépendance qu'aujourd'hui et sans tout ça… Et bien, Dieu seul sait les relations que je pourrais avoir avec mes parents mais en tout cas, elles sont bien plus apaisés et heureuses qu'avant.

[une semaine plus tard et sans transition]
Pour mettre un point final à ce blog, je voulais apporter d'autres témoignages que le mien sur mon parcours, ou une vision extérieure de moi-même. Une fois que tout fut terminé, j'ai relu les attestations de la famille et des amis qui ont servi à mon dossier, écrites il y a presque deux ans. J'ai relu mon histoire dans leurs yeux, de l'enfance à aujourd'hui. Forcément subjectives et biaisées par leurs fonctions, elles n'en sont pas moins intéressantes voir émouvantes…
Je les publierais à la suite de ce message, pour l'instant j'ai recopié essentiellement celles de la famille, il y en reste quelques unes d'amis qui attendront certainement mon retour de Mexico pour être tapées.

Bon, et pour le plaisir, je vais quand même conclure ce message par un extrait de chanson, un petit message personnel à moi-même :

"Essaie d'être un homme idéal
A tes risques et périls
Attèle ton char à une étoile
Entreprends des rêves inutiles
Tâche au moins d'avoir un projet
Le monde où tu vas je le hais…"


2.7.11

Huan

Je soussigné C. Huan (frère de Tai) né à P. le 10/02/84. Demeurant à… Profession: salarié Gestion de biens.
déclarant n'avoir aucun lien de parenté ou alliance avec aucune des parties et ne pas être sous leur dépendance économique.
(ou s'il n'en est pas ainsi, préciser le lien).
Sachant que la présente sera utilisé en justice, et connaissance prise qu'une fausse attestation m'exposerait à des sanctions pénales.
Certifie l'exactitude des faits ci-après, pour en avoir été le témoin direct:
(relation des faits écrite, datée et signée de la main de son auteur)
Mes souvenirs d'enfance regorgent de souvenirs de Tai étant un garçon manqué. Quand c'était pas pour me piquer mes vêtements, c'était mes couteaux pour "tailler" du bois, faire des cabanes, m'emprunter mes jouets. Mais en pensant à Tai, ce qui me vient aujourd'hui, c'est de voir comment il a construit sa vie ces dernières années, son bonheur à chaque étape malgré les difficultés qu'on peut croiser dans tels situation. Je croise mon frère tous les jours, et j'espère qu'il continuera à construire sa vie comme il l'a fait.
Je délivre la présente attestation à Monsieur Éric Tai C. et suis informée du fait que celui-ci doit la produire en justice et j'ai parfaitement connaissance que toute déclaration mensongère de ma part m'exposerait à des sanctions pénales.
Fait à Paris le 25/11/09

Papa

Je soussigné Patrick C., né le 8 juillet 1958, à B., père de Éric Tai C., atteste par la présente que sa transformation en garçon m'apparait comme une évidence tant Éric est épanoui, posé et sûr de lui.
L'annonce de sa transformation m'a conduit à une rétrospective tant par les photos, films ou anecdotes qui aurait pu ou dû m'alerter.

Il est très difficile pour un père de déceler dans le comportement de son enfant l'appartenance à un autre sexe. Il est plus facile de l'attribuer à un comportement de "garçon manqué" ou une adolescence difficile, période où l'on recherche son identité.

À ce jour, j'approuve sans réserve cette demande de changement d'identité afin qu'Éric puisse avoir une vie sociale et professionnelle normale.

Je délivre la présente attestation conformément à l'article 202 du NCPC étant parfaitement informé que celle-ci sera produite en justice.

Pour servir et faire valoir ce que de droit.

Fait à Paris le 8 décembre 2009.