20.11.10

Biographie pour le dossier de changement d'identité

Je suis né(e) dans une clinique parisienne, le .... Baptisé(e) Caroline, ..., ..., en référence à mes origines française, vietnamienne et espagnole, je suis le troisième enfant de ma mère qui a eu une fille d’un précédent mariage, et mon frère, âgés respectivement de 21 et 3 ans à ma naissance.

De ma petite enfance, je n’ai naturellement que peu de souvenirs ; ceux que l’on m’a raconté, les photos, les vidéos se sont substitués à ma mémoire. J’ai notamment l’image d’une petite fille longeant les murs de la cour de récréation de la maternelle, serrant très fort son lapin en peluche aussi grand qu’elle, alors que les autres jouaient et couraient ensemble autour du train en bois, et d’autre encore, me montrant à chaque fois dans mon coin, timide et réservé, au cours d’une semaine qui fut filmée par la maîtresse et dont j’obtenu la cassette des années plus tard.

Je fus plus sociable en primaire ; électron libre, j’étais admis dans tous les groupes et mini clans de notre classe, aussi bien pour jouer à chat perché avec les filles qu’au foot avec les garçons. Je me souviens du bonheur avec lequel j’ai récupéré tous les jouets délaissé de mon frère entré au collège, son ballon de foot en mousse, sa sacoche de billes et de pogs grâce auxquels je devins le roi de la récré !

C’est à cette époque, entre 6 et 9 ans, que je me faisais appeler Éric dans les jeux de rôles ; c’était un nom de prince, et je retrouvais tous les mercredis après-midi ma « princesse » au centre aéré, Tiphaine, je lui offrais des bouquets de fleurs imaginaires en patins à roulettes, et la maisonnette en bois était notre château. Un jour, à l’heure des mamans, je l’ai demandé en mariage… Et l’histoire s’arrêta là !

Quelque soit le jeu de rôles, je prenais systématiquement un personnage masculin : que l’on rejoue le Roi Lion, qu’on simule une famille, que l’on soit au Far-West, j’étais Simba le lionceau, le Papa ou un cow-boy… Je jouais bien au Barbie chez ma meilleure amie, mais uniquement avec les Ken. Mais je préférais de loin la collection de Legos de mon cousin…

Cela ne me semblait pas bizarre, ou malsain, ni à moi ni à ma famille je crois. Hormis l’obligation de porter une robe un ou deux jours par semaine, ma nature de garçon manqué n’était que rarement contrariée. Après tout, je partageais les jeux des enfants qui m’entouraient, et mis à part à l’école, je côtoyais surtout des garçons. Mon grand frère, tout d’abord, mes deux grands cousins avec qui nous partions souvent en vacances, et aussi les voisins, à la campagne.

Tous les week-ends et la plupart des petites vacances, nous partions dans notre maison de campagne, dans le Loiret, et là nous retrouvions Cédric, mon âge, et Jérome, celui de mon frère. À deux ou à quatre, nous avons fait les 400 coups : grimper aux arbres, rodéos avec les moutons, dévaler des sentiers dans les bois à vélo, construction de cabanes, de barrages, plonger d’un pont dans le canal,… J’étais également inscrit au club de pêche du village, et Papa nous emmenait chaque mois ou presque faire de la moto-cross ou du quad.

En somme, on peut dire que j’ai eu une enfance plutôt heureuse et bien remplie…

Insouciant comme tout les enfants, je ne me préoccupais guère du regard des autres à l’époque. Ma garde-robe était essentiellement constitué des vêtements trop petits de mon frère et de mes deux cousins, j’adorais les chapeaux et casquettes de tout genre (vrai chapeau de cow-boy souvenir d’Arizona, toque de trappeur canadien, casquette de capitaine de bateau…), ne craignant pas le ridicule de les porter en toute occasion ! J’étais aussi peu pudique ; je me souviens de m’être fait gronder à l’école, en CM2, un soir à l’heure d’études, parce que ayant trop chaud, je m’étais tout simplement mis torse nu… Pourtant, à cet âge là, mes seins commençaient à apparaître.

Tout allait changer au collège. Entre la 6ème et la 5ème, je passa d’un petit 85A à un 95B. Je me souviens de m’être rendu compte que des seins me poussaient dessus lors d’un bain, dont le niveau d’eau parfaitement calculé immergeait totalement mon corps jusqu’alors… Et de les voir deux îles sortir des flots, comme ça, j’ai réalisé. J’avais souvent rêvé être un petit garçon, j’avais souvent espéré, m’étant même identifié au personnage principal d’un livre, « La Cicatrice », un enfant priant et négociant avec Dieu chaque soir pour que le bec de lièvre qui défigurait son visage disparaisse au petit matin… Alors que je savais, concrètement, que j’étais une fille. Parce que j’avais une zézette, et les garçons un zizi. Mais à cette âge là, on peut s’imaginer que cela va pousser dans la nuit… Ce soir là, j’ai réalisé qu’il fallait se résigner.

En 5ème, j’ai eu mes règles, et ai effectué mon premier achat de vêtement féminin : un t-shirt bleu, un peu cintré. Le premier jour où je l’ai porté en cours, ma classe m’a applaudi… ! Cela faisait un moment que les filles me disaient d’arrêter de m’habiller comme un garçon, de me maquiller, de me faire les ongles, de me détacher les cheveux… J’avais accompli le premier pas vers la féminité et on m’avait complimenté toute la journée. Dès lors, puisque je ne pouvais me plaire à moi-même, j’avais décidé de plaire aux autres. J’assortissais mes gros pantalons baggys avec des petits hauts moulants, je me mettais même un peu de crayon noir autour des yeux au lycée… Mais jupes et robes ne trouvèrent toujours pas grâce à mes yeux, ma démarche n’avait rien de féminine, mon attitude non plus.

En fait, j’ai oscillé longtemps entre « garçonne » et « féminine » : « garçonne », c’était la façon de me retrouver, « féminine », c’était celle de donner aux autres ce qu’ils attendaient de moi. « Garçonne », j’étais bien, mais… « Féminine », j’étais mal, mais… Car, mais je ne le réaliserais que bien après, au final, d’un côté comme de l’autre, je n’avais jamais la possibilité qu’Éric s’exprime dans son intégralité, tout simplement.

J’ai mis du temps à me découvrir, à m’accepter et m’assumer trans ; j’y reviendrais. Mais ce qui a toujours été naturel pour moi, c’était de préférer les filles… C’est en 5ème que j’appris qu’une fille qui aimait les filles, c’était une lesbienne, une gouine, et que ce n’était pas forcément normal pour tout le monde. Il n’y avait même pas le PACS à l’époque… En 4ème, je l’avoua à quelques amies, et puis le bruit s’est répandu et très vite je fus la « goudou de service », subissant quelques railleries mais ne perdant pas un ami pour autant. J’ai toujours su me faire un entourage ouvert d’esprit, en tout cas susceptible de s’ouvrir aux différences, pour peu qu’on leur explique… J’ai fait toute ma scolarité dans le privé catholique, autant dire que ce n’était pas gagné d’avance ! Et cet entourage, ces amis du collège, puis du lycée, sont toujours présents actuellement.

J’avais un cœur d’artichaut, et ne cessais de fondre pour telle fille de la classe, telle amie de longue date, telle rencontre de vacances… Tout en étant bien conscient qu’elles m’étaient inaccessibles, puisque hétéro ! C’est en 3ème que je rencontra celle qui sera ma première petite amie, Virginie, mais à ce moment là elle craquait, elle aussi, pour un garçon et gardait ses distances avec moi… Elle devint vite une de mes meilleures amies, et un an plus tard, à la surprise générale, une histoire commença à s’écrire. Des lettres, des messages, des rapprochements hésitants, et puis le premier baiser. Cela allait durer 5 ans…

Me voici donc au lycée, au pire de mon adolescence, au niveau zéro de communication avec mes parents. Je prépare le Bac ES, et malgré des résultats scolaires satisfaisants, les amis et la copine, il y a des soirs où me prennent de furieuses envies de cogner un arbre, un mur à mains nues, jusqu’à en avoir les phalanges en sang ; il y a des jours où j’éclate en interminables sanglots, sans raison apparente. Cela m’est arrivé en cours, une fois ; je ne savais pas pourquoi je pleurais, j’avais juste l’idée que quelque chose ne pouvait plus durer, que ça n’allait pas… L’infirmière m’avait dit quelque chose comme : « J’étais sûr que cela arriverait un jour. Tu paraissais trop heureuse pour l’être réellement. ». Et elle avait terriblement raison.

Je lui ai demandé de convoquer mes parents pour leur demander de m’envoyer chez un psy ; une professeur au collège avait déjà évoqué l’utilité d’une quelconque thérapie pour mon cas, mais ma mère était radicalement contre. Elle se résigna cette fois ci et je commença à voir une psychologue spécialisée dans l’enfance et l’adolescence. Je sais que nos conversations ont grandement aidé mon cheminement intérieur, même si ce n’est pas elle qui m’a révélé à moi-même.

En vérité, si je devais attribuer cela à quelqu’un, ce serait Virginie, par sa seule présence à mes côtés. Je l’ai déjà dit, j’ai toujours été frustré de ne pas être né garçon, mais je m’en étais accommodé, et surtout, je pensais ne pouvoir rien y faire. Cette frustration s’amplifiait dans ma vie sentimentale, car dans ce domaine (ma manière d'aimer, de vivre sentiments et attirances), et malgré tout mes efforts pour enfoncer ma tête dans le sable, je ne pouvais nier la part de garçon qui vivait en moi. Mais fallut du temps pour que le malaise soit palpable, du temps pour que cela me devienne insupportable, du temps pour réaliser que ce qui est si flagrant dans ma relation de couple, mon identité masculine, était en fait sous-jacent dans tout le restant de ma vie.

Mais d’autres éléments m’ont aiguillés à cette période, notamment un livre sur lequel je suis tombé par hasard, à la bibliothèque municipale, intitulé « Un Homme en Elle » ; j’ai lu la quatrième de couverture, et découvert alors une information essentielle : je l’ignorais jusqu’alors, mais il existait des transsexuels homme nés de sexe féminin. Il était possible de passer de l’un à l’autre. Mais je ne l’ai pas emprunté, plutôt effrayé par la perspective que cela laissait entrevoir…

À cette époque, une autre question existentielle me taraudait : qu’allais-je faire de ma vie ? Plus précisément, quelle étude choisir, vers quelle carrière me tourner ?

De ma petite enfance à aujourd'hui j'ai aspiré à des métiers aussi divers et variés que : détective privé, pompier, coiffeur pour hommes, ermite (ce n'est pas un métier mais c'était "ce que je voulais faire plus tard"), archéologue voir paléontologue, reporter, garde-forestier, berger, écrivain public, photographe, agriculteur, chauffeur de taxi, militaire, père au foyer, cordiste...

Fin terminale, je suis resté fixé sur « militaire ». À l’époque, tout était clair pour moi : une fois mon bac en poche, j’allais prendre quelques mois pour me mettre à niveau physiquement, puis essayer une prépa militaire ; si mon désir de m’engager se confirmait, j’allais envoyer mon dossier, passer haut la main les tests de recrutement et intégrer l'école de sous-officiers de Saint Maixent.

Comment raconter, expliquer, décrypter, le cheminement intérieur qui m’a amené à prendre conscience de ma nature profondément masculine et à accepter la seule voie qui me permettait d’être en accord avec moi-même… Je ne suis pas Zweig ! Mais en quelques mois, cette idée qui m’obsédait, que je refoulais, s’est peu à peu imposée à moi. Je commençai à l’avouer à quelques proches amis, à ma copine, à me renseigner concrètement sur le parcours que je comptais entreprendre. Les cheveux courts, la poitrine bandée, j’ai eu le droit à 18 ans à mes premiers « jeune homme », qui me remplissaient d’allégresse.

Je n’ai jamais cherché à brûler les étapes, au contraire, je trouve plutôt saine la méthode anglo-saxonne « in real life » qui demande au transsexuel de vivre quelques mois, un an, dans son genre, avant d’en arriver à l’irréversible, c’est-à-dire les opérations. Ce temps est également profitable à l’entourage, qui a le temps d’assimiler l’idée et d’aborder ces étapes cruciales avec moins d’appréhension.

J’ai 18 ans donc, le Bac en poche avec mention, et mon projet d’entrer dans l’armée qui s’écroule puisque, tout simplement, en tant qu’homme, j’étais trop petit.

En Septembre 2005, je rentre à la fac de psychologie de Paris V, un peu par goût, un peu par hasard… J’y suis resté un semestre, sans avoir séché un seul cours : les études m’intéressaient, pas les débouchés. J’ai pensé que, quitte à perdre une année, autant travailler : ma transition réclamait un budget conséquent, entre les visites médicales (psy, analyses, etc.), le renouvellement de ma garde-robe (costumes, chemises, cravates !).

Mon père m’a alors pistonné dans un restaurant gastronomique, je devins aide-cuisinier et fus séduit par l’univers des fourneaux, par le rythme, la passion des cuisiniers, par toute une profession que je découvrais.

Septembre 2006, je suis rentré à l’école Grégoire Ferrandi pour passer un CAP cuisine en alternance, une formation courte d’un an. Ayant commencé mon traitement hormonal pendant l’été, je réussis à intégrer l’école en tant qu’Éric, et par la même occasion mon entreprise.

J’existais enfin tant dans la sphère amicale et intime que dans mon univers professionnel et scolaire !

Septembre 2007, mon CAP en poche, j’obtins un poste de cuisinier dans un bistrot, filiale du Marcande.

Il était temps pour moi d’avancer, et surtout de me débarrasser de mon encombrante poitrine.

En 2 ans, j’avais rencontré, réellement ou virtuellement, d’autres personnes dans mon cas, certains ayant déjà obtenus leurs nouveaux papiers, d’autres qui commençaient à peine à s’affirmer… Bref, une petite communauté où, heureusement, l’entraide est de mise, et la diffusion des informations une priorité. C’est ainsi que j’ai suivi plusieurs FtM* dans leurs mammectomie en France, en Belgique, en Angleterre et aux Etats-Unis. J’ai vite constaté que, si en France on maîtrisait la technique dite « péri-aréolaire », adaptée aux petites poitrines, les résultats de « double incision », que je recherchais, étaient très aléatoires et nécessitaient souvent de coûteuses retouches pour parvenir à un résultat fort peu esthétique. Mon angoisse était bien compréhensible : et si l’opération ratait au point que je ne puisse jamais me mettre torse nu à la plage, par exemple, ou que je sois pétrifié de honte quand il s’agirait de me dévoiler à mon amie…

Ma sœur, mariée à un Américain, vivait à Washington D.C. à ce moment-là, et je cherchais l’occasion de lui rendre visite et voir mes neveux. Je commençai alors à loucher du côté des chirurgiens américains, et je réalisai que beaucoup de FtM français, et d’autres nationalités encore, se rendaient à San Francisco, chez l’un des rares seuls chirurgiens spécialisé dans cette opération : il ne fait que ça depuis 20 ans, et cela se ressent forcément sur la qualité des coutures, la symétrie du torse… J’ai été emballé par ses résultats, et avec le faible taux du dollars, l’opération ne me coûtait pas plus cher qu’en France ou en Belgique.

Je contactais donc ce chirurgien et obtenu une date : le 4 février 2008.

Ma sœur m’aida pour organiser ce voyage : départ le 31 janvier avec ma mère pour deux semaines à San Francisco, puis convalescence chez elle, à Washington D.C., deux semaines également.

Je suis rentré en homme nouveau, accueilli par tous mes amis lors d’une grande soirée. À plusieurs reprises, on me demanda de dévoiler mon nouveau torse, et j’acceptais avec fierté !

Enfin bien dans ma peau, libéré de l’angoisse d’être « grillé » dans les vestiaires au travail, ne craignant plus d’étouffer sous mes t-shirts compressifs et bandage près de la chaleur des fourneaux, j’ai entrepris une nouvelle recherche de travail avec ce dernier problème en tête : comment expliquer le décalage entre l’identité sous laquelle je me présentais, Éric, et le prénom inscrit sur mes papiers d’identité, ma carte vitale, mon RIB, mon pass navigo, etc. Surtout dans ce milieu, la restauration, que l’on imagine très machiste, souvent avec raison…

Par chance, je réussis un entretien d’embauche dans un grand hôtel parisien, avec restaurant étoilé, en ne dévoilant pas un mot de tout ce qui me tracassait au Chef avec qui je le passais. Je n’osai tout simplement pas. Heureusement, car il ne l’appris jamais au final. C’est en fait à la DRH que j’exposai mon problème et elle décida de m’embaucher au nom d’Éric C.. Ainsi, je pu évoluer dans l’entreprise sans qu’aucun de mes collègues n’apprennent mon passé.

Dans la même période, je quittai le bercail pour emménager dans mon appartement. Je suis resté un an et demi dans cet hôtel et ce fut pour moi l’apprentissage de la vie active et adulte… au masculin.

Il me fallait repasser par un bloc opératoire pour pouvoir mettre un terme à mon existence de sans-papier, et en juillet 2009 je rentrais au centre chirurgical d’Asnières pour une hystérectomie complète.

J’aimerais pouvoir écrire la suite présumée de ma biographie, tous les projets que j’ai en tête, les rêves que je poursuis, les pays dans lesquels j’aimerais travailler… Mais là n’est pas le sujet, et cela ne pourra s’écrire qu’à la condition d’être reconnu par mon pays, et que l’administration française m’accorde officiellement l’identité sous laquelle je vis depuis déjà 4 ans…

* FtM : de l’anglais « female to male », se dit d’un transsexuel homme, né de sexe féminin.

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